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Y’en a marre! Inspiré d’une chanson de Tiken Jah Fakoly et un sentiment de ras-le-bol général, tel est le nom que s’est choisi un mouvement spontané de protestation au Sénégal. Le groupe est lancé fin février 2011 par trois trentenaires, deux rappeurs du groupe Keur Gui («la maison», en wolof) et un de leurs amis journaliste.
Leur slogan est devenu un cri de ralliement, lors des émeutes du 23 juin dernier à Dakar contre le projet de loi du président Abdoulaye Wade, visant à modifier la Constitution. Le but de la manœuvre: faire élire en février 2012, en un seul tour de scrutin et avec une majorité de 25%, un «ticket» présidentiel comportant un président (Abdoulaye Wade, 86 ans, au pouvoir depuis 2000, prêt à briguer un troisième mandat grâce à des changements déjà opérés dans la Constitution) et un vice-président (probablement son fils Karim Wade, 42 ans, actuel ministre des Transports aériens, de la Coopération internationale, des Infrastructures, de l’Aménagement du territoire et de l’Energie).
Les fondateurs du mouvement Y’en a marre, après s’être concertés avec d’autres associations et des partis d’opposition, ont appelé le 22 juin le pays à descendre dans la rue. Un appel qui a porté ses fruits: le 23 juin en début d’après-midi, Wade a fait marche arrière et retiré l’intégralité de son projet. Aujourd’hui, les fondateurs de Y’en a marre ne savent plus combien de Sénégalais les soutiennent. Leur baromètre, c’est la pétition qu’ils font circuler depuis le 2 mars: un million de signatures, pour un pays de 12 millions d’habitants.
Passés à l'action
Ce mouvement citoyen est parti d’une simple discussion, à l’heure des trois thés rituels, après le déjeuner. Thiat (un surnom qui veut dire «le petit dernier», en wolof) et Malal Tall (dit «Fou Malade»), les rappeurs de Keur Gui, commentent avec leur ami journaliste Cheikh Fadel Barro la mobilisation de certains imams dans la banlieue dakaroise de Guédiawaye. Des «vieux» qui appellent à ne plus payer les factures d’électricité, pour protester contre les délestages, ces coupures de courant qui pénalisent les Dakarois dans leur vie quotidienne.
Ils se disent alors qu’ils doivent eux aussi passer à l’action. Ils profitent du Forum social mondial, organisé en février à Dakar, pour se faire connaître. En une journée, Y’en a marre recueille 5.000 signatures sur le campus de l’université Cheikh Anta Diop.
Le 19 mars, date anniversaire de l’alternance au Sénégal et de l’accession au pouvoir d’Abdoulaye Wade, ils appellent à manifester place de l’Obélisque: les «Y’en-a-marristes» suivent les têtes d’affiche du hip-hop sénégalais, et sont plus de 5.000 ce jour-là:
Le mouvement lance alors une campagne intitulée «NTS, le nouveau type de Sénégalais». Le potentiel de subversion de Y’en a marre n’a pas échappé aux autorités. Une dizaine de «meneurs», parmi lesquels Thiat, «Fou Malade» et un autre rappeur, Crazy Cool, ont été arrêtés le 22 juin. Placés en garde à vue, ils ont été muselés par le pouvoir, à la veille de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi tant contesté.
Les émeutes, qui ont commencé le 22 juin, ne sont pas tout à fait terminées.
Les chefs de file de Y’en a marre ont été libérés peu après le retrait du projet de loi, le 23 juin, vers 18 heures, après une journée qui s’est soldée par 110 blessés dans les rangs des policiers et des manifestants, et peut-être quatre morts —un chiffre qui n’a toujours pas été confirmé par les autorités.
«S’il ne nous écoute pas, c’est la rue qu’il entendra»
Ces nouveaux leaders paraissent plus déterminés que jamais, mais gardent la tête froide. En jeunes ordinaires et qui tiennent à le rester, ils se déplacent sans garde du corps, tiennent leurs réunions dans le quartier populaire de Parcelles Assainies, et n’ont que faire de l’arène politique. Ils l’affirment haut et fort: ils n’ont pas l’intention de rencontrer le président Wade, qui pourrait les faire venir au palais pour les amadouer ou leur faire des remontrances. Le chanteur Youssou N’dour, reçu en audience le 27 juin, est intervenu pendant la crise pour qualifier le projet de loi de «forfaiture», puis inviter le président Wade à renoncer à sa candidature en 2012.
«Nous sommes un mouvement autonome, indépendant et équidistant des partis politiques», précise Cheikh Fadel Barro. Le 27 juin, lui et ses copains ont appelé les jeunes à «ne pas embraser le pays» et à s’inscrire «massivement» sur les listes électorales, pour faire partir Wade lors des prochaines élections, en février 2012.
D’anciens amis de Wade, comme Bacar Dia, invitent le président à prendre le message au sérieux, et estime que Y’en a marre a été à «l’avant-garde de la mobilisation du 23 juin». D’autres estiment que le retrait du projet de loi doit beaucoup à la pression de la rue, et non aux conseils avisés des chefs religieux, le prétexte invoqué par Wade pour faire marche arrière.
Les fondateurs de Y’en a marre se décrivent comme les «sentinelles de la démocratie». En 2000, à 20 ans, ils ont voté comme toute une génération pour le Sopi («le changement», slogan de campagne d’Abdoulaye Wade). Dix ans plus tard, ils estiment leurs espoirs trahis.
Lorsque Wade veut procéder à son énième tripatouillage constitutionnel, ils appellent, avec d’autres, à jouer la carte de la confrontation. Mais pas pour crier: «Wade, dégage!» L’une de leurs campagnes, lancée en avril avec spots radio et télé, s’intitule «Daas Fanalal». Au sens littéral, l’expression veut dire: «Aiguisez le couteau pour vous préparer à égorger [le mouton]». Au sens figuré, le slogan devient «Ma carte, mon arme». Un appel à se procurer sa carte d’électeur et à transformer la rage en énergie positive. Objectif final: «l’infiltration massive du vote», pour un printemps sénégalais qui devrait se jouer en février 2012.
Leur slogan est devenu un cri de ralliement, lors des émeutes du 23 juin dernier à Dakar contre le projet de loi du président Abdoulaye Wade, visant à modifier la Constitution. Le but de la manœuvre: faire élire en février 2012, en un seul tour de scrutin et avec une majorité de 25%, un «ticket» présidentiel comportant un président (Abdoulaye Wade, 86 ans, au pouvoir depuis 2000, prêt à briguer un troisième mandat grâce à des changements déjà opérés dans la Constitution) et un vice-président (probablement son fils Karim Wade, 42 ans, actuel ministre des Transports aériens, de la Coopération internationale, des Infrastructures, de l’Aménagement du territoire et de l’Energie).
Les fondateurs du mouvement Y’en a marre, après s’être concertés avec d’autres associations et des partis d’opposition, ont appelé le 22 juin le pays à descendre dans la rue. Un appel qui a porté ses fruits: le 23 juin en début d’après-midi, Wade a fait marche arrière et retiré l’intégralité de son projet. Aujourd’hui, les fondateurs de Y’en a marre ne savent plus combien de Sénégalais les soutiennent. Leur baromètre, c’est la pétition qu’ils font circuler depuis le 2 mars: un million de signatures, pour un pays de 12 millions d’habitants.
Passés à l'action
Ce mouvement citoyen est parti d’une simple discussion, à l’heure des trois thés rituels, après le déjeuner. Thiat (un surnom qui veut dire «le petit dernier», en wolof) et Malal Tall (dit «Fou Malade»), les rappeurs de Keur Gui, commentent avec leur ami journaliste Cheikh Fadel Barro la mobilisation de certains imams dans la banlieue dakaroise de Guédiawaye. Des «vieux» qui appellent à ne plus payer les factures d’électricité, pour protester contre les délestages, ces coupures de courant qui pénalisent les Dakarois dans leur vie quotidienne.
Ils se disent alors qu’ils doivent eux aussi passer à l’action. Ils profitent du Forum social mondial, organisé en février à Dakar, pour se faire connaître. En une journée, Y’en a marre recueille 5.000 signatures sur le campus de l’université Cheikh Anta Diop.
Le 19 mars, date anniversaire de l’alternance au Sénégal et de l’accession au pouvoir d’Abdoulaye Wade, ils appellent à manifester place de l’Obélisque: les «Y’en-a-marristes» suivent les têtes d’affiche du hip-hop sénégalais, et sont plus de 5.000 ce jour-là:
«On s’est dit que c’étaient toujours les politiciens qui fêtaient l’alternance, alors que c’est le peuple qui en a décidé en votant, explique Cheikh Fadel Barro, coordonnateur du mouvement. En manifestant, nous avons invité le peuple à reprendre sa date, face aux dérives de Wade».
Le mouvement lance alors une campagne intitulée «NTS, le nouveau type de Sénégalais». Le potentiel de subversion de Y’en a marre n’a pas échappé aux autorités. Une dizaine de «meneurs», parmi lesquels Thiat, «Fou Malade» et un autre rappeur, Crazy Cool, ont été arrêtés le 22 juin. Placés en garde à vue, ils ont été muselés par le pouvoir, à la veille de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi tant contesté.
«Ils croient qu’on dort, mais nous, on est bien réveillés, assure Abdoulaye Sylla, 45 ans, un technicien qui soutient Y’en a marre. Ici à Dakar, tout le monde est d’accord: ce que Wade fait est inacceptable. Avec son équipe, il décide de tout sans consulter personne, comme si le pays était à lui!»
Les émeutes, qui ont commencé le 22 juin, ne sont pas tout à fait terminées.
«A l’heure où je vous parle, les jeunes sont en train de brûler des pneus dans les rues à cause d’une nouvelle coupure de courant qui a duré plus de dix heures, témoigne Cheikh Fadel Barro, joint dans la soirée du 27 juin par téléphone.
La vie est chère, les jeunes prennent des pirogues pour émigrer au péril de leur vie, en se disant “Barça ou barsakh” [Barcelone ou la mort, ndlr]. Pendant ce temps, Wade se permet d’acheter des jets privés, de faire de son fils un super-ministre, de corrompre les gens, de gaspiller des millions dans une statue de la Renaissance… Il y a maintenant un malaise, un mal-être au Sénégal, et il en est le principal responsable.»
Les chefs de file de Y’en a marre ont été libérés peu après le retrait du projet de loi, le 23 juin, vers 18 heures, après une journée qui s’est soldée par 110 blessés dans les rangs des policiers et des manifestants, et peut-être quatre morts —un chiffre qui n’a toujours pas été confirmé par les autorités.
«S’il ne nous écoute pas, c’est la rue qu’il entendra»
Ces nouveaux leaders paraissent plus déterminés que jamais, mais gardent la tête froide. En jeunes ordinaires et qui tiennent à le rester, ils se déplacent sans garde du corps, tiennent leurs réunions dans le quartier populaire de Parcelles Assainies, et n’ont que faire de l’arène politique. Ils l’affirment haut et fort: ils n’ont pas l’intention de rencontrer le président Wade, qui pourrait les faire venir au palais pour les amadouer ou leur faire des remontrances. Le chanteur Youssou N’dour, reçu en audience le 27 juin, est intervenu pendant la crise pour qualifier le projet de loi de «forfaiture», puis inviter le président Wade à renoncer à sa candidature en 2012.
«Nous sommes un mouvement autonome, indépendant et équidistant des partis politiques», précise Cheikh Fadel Barro. Le 27 juin, lui et ses copains ont appelé les jeunes à «ne pas embraser le pays» et à s’inscrire «massivement» sur les listes électorales, pour faire partir Wade lors des prochaines élections, en février 2012.
«Nous ne voulons pas de situation à la tunisienne ou que l’armée prenne le pouvoir, avec un pays qui risque de se retrouver dans l’impasse».Y’en a marre, d’ailleurs, ne souscrit pas à l’appel au soulèvement populaire lancé le 22 juin par les opposants du Parti socialiste (PS), autrefois au pouvoir (jusqu'en 2000). En revanche, l’avertissement lancé à Wade est très clair:
«S’il se présente en 2012 alors qu’il a déjà fait deux mandats et qu’il doit partir, on n’est plus garant de rien. S’il ne nous écoute pas, c’est la rue qu’il entendra…»
D’anciens amis de Wade, comme Bacar Dia, invitent le président à prendre le message au sérieux, et estime que Y’en a marre a été à «l’avant-garde de la mobilisation du 23 juin». D’autres estiment que le retrait du projet de loi doit beaucoup à la pression de la rue, et non aux conseils avisés des chefs religieux, le prétexte invoqué par Wade pour faire marche arrière.
Les fondateurs de Y’en a marre se décrivent comme les «sentinelles de la démocratie». En 2000, à 20 ans, ils ont voté comme toute une génération pour le Sopi («le changement», slogan de campagne d’Abdoulaye Wade). Dix ans plus tard, ils estiment leurs espoirs trahis.
Lorsque Wade veut procéder à son énième tripatouillage constitutionnel, ils appellent, avec d’autres, à jouer la carte de la confrontation. Mais pas pour crier: «Wade, dégage!» L’une de leurs campagnes, lancée en avril avec spots radio et télé, s’intitule «Daas Fanalal». Au sens littéral, l’expression veut dire: «Aiguisez le couteau pour vous préparer à égorger [le mouton]». Au sens figuré, le slogan devient «Ma carte, mon arme». Un appel à se procurer sa carte d’électeur et à transformer la rage en énergie positive. Objectif final: «l’infiltration massive du vote», pour un printemps sénégalais qui devrait se jouer en février 2012.
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