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lundi 26 septembre 2011

Le naufrage du " Joola "

                                                         Le 26 septembre 2002 au Sénégal
                                  le naufrage du " Joola " a fait plus de victimes que "Le Titanic"
                                                    1.953 morts et seulement 64 rescapés



" Le Joola " (ou " Diola " du nom de la principale ethnie de Casamance) qui assurait la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor via l'île de Carabane était un cordon ombilical entre la région Sud de Casamance et le reste du Sénégal. Il participait au désenclavement de la région et était essentiel pour son économie.

Depuis sa mise en service, en décembre 90, on se bousculait pour embarquer sur le ferry. La grande majorité de ses usagers était des commerçants, des "banas-banas" qui écoulaient leurs marchandises, fruits, poissons, huîtres, huile et vin de palme au marché Elisabeth Diouf du port de la capitale Dakar et dans tout le Sénégal.

Construit en Allemagne " Le Joola " était un transbordeur d'eaux côtières de 1.532 tonnes, 79m50 de long, une largeur de 12m50 et un tirant d'eau de 3m10. Sa cale de chargement de 450 m3 pouvait emporter 550 tonnes de marchandises, dont une dizaine de véhicules.

Immobilisé depuis le 13 septembre 2001, pour la réparation d'avaries mécaniques et le remplacement de son moteur bâbord, "Le Joola" avait reprit la liaison Dakar-Ziguinchor le 10 septembre 2002.

C'était toute une région qui respirait à nouveau et retrouvait le sourire. Cet événement était attendu par tous car pendant un an toute la Casamance s'est retrouvée un peu plus isolée dans son enclave entre la Gambie et la Guinée-Bissau.

Bon nombre de commerçants avaient arrêté toutes activités car la route devenue le seul moyen pour transporter les marchandises revenait beaucoup plus cher que le bateau et surtout beaucoup trop long pour les produits périssables.
860 km pour 14 à 20 h de trajet en contournant la Gambie, ou bien 450 km par la Transgambienne mais avec les "tracasseries" imposées par les douanes, plus la longue attente au bac de Farafégni pour traverser le fleuve Gambie.


                                                        Le dernier voyage du " Joola "

" Le Joola " a quitté le port de Ziguinchor jeudi 26 septembre 2002 à 13h30 par temps calme pour effectuer sa troisième rotation depuis sa réparation. Avec officiellement 809 passagers à bord en possession d'un billet plus les 52 militaires membres de l'équipage.

Après 3h de descente du fleuve Casamance, le bateau a fait escale à Carabane où, toujours officiellement, 185 passagers et des marchandises ont été embarqués.
Le bateau s'inclinait fortement à tribord, mais à chaque escale à Carabane " Le Joola " est bondé de passagers qui s'ammassent aux bastinguages pour observer le pittoresque spectacle de l'embarquement, qui se fait par pirogues car il n'y avait pas de quai sur l'île.


 Alors que " Le Joola " était prévu pour transporter 580 personnes, à 18h après l'escale de Carabane il y avait officiellement suivant la vente des billets 1.046 personnes à bord.
Plus les passagers montés sans billets et les nombreux enfants de moins de 5 ans pour qui aucun titre de transport n'est délivré ...
Beaucoup de commerçants casamançais, mais aussi des touristes occidentaux, des étudiants se rendant à Dakar pour la rentrée scolaire, 32 enfants de 10 à 15 ans des écoles de football de Ziguinchor qui allaient à Fatick pour participer à un tournoi.

Pendant l’escale de Carabane le ciel s’assombrit et une forte pluie a commencé à tomber. Quand " Le Joola " a quitté l’île la visibilité était quasiment nulle, le bateau à vite disparu dans le brouillard en direction de l’océan.


A 18h45 l'équipage a envoyé un message au centre de coordination des opérations de la Marine à Dakar, pour indiquer que le navire était sorti du fleuve Casamance et qu'il poursuivait normalement sa traversée dans l'océan. Le temps était calme mais très pluvieux.

Le dernier appel a été donné à 22h pour signaler que tout allait bien à bord.

Un peu avant 23h " Le Joola " naviguait à 40 km des côtes de la Gambie à environ 170 km au sud de Dakar dans une mer houleuse avec des coups de vents à 50 Km/h et sous une forte pluie. Comme à chacun de ses voyages au restaurant l’ambiance était à la fête et l’orchestre faisait danser les passagers.


Tout c'est passé très vite, des bourrasques de vent ont accentué l'inclinaison du ferry, pour s'abriter du vent et de la pluie beaucoup de passagers se sont précipités en masse du côté bâbord ce qui a brusquement accentué le déséquilibre du navire, tout le monde a glissé vers le même côté en tombant les uns sur les autres, l’inclinaison du bateau étant trop forte il s'est renversé sur le côté et l'eau s'est engouffrée par les hublots, " Le Joola " a chaviré brutalement en moins de cinq minutes ... Les passagers sur le pont se sont jetés à l’eau. Ceux restés à l’intérieur, surpris ou saisis dans leur sommeil, n'ont pas eu le temps de s'équiper de gilets de sauvetage. Dans l’obscurité seulement quelques personnes ont pu s'extraire du bateau en brisant les hublots.
Deux Français, Patrice Auvray et son amie Corinne, ont réussi à sortir du bateau, mais Corinne affaiblie par le paludisme a sombré après environ trente minutes de nage. Beaucoup d'autres passagers se sont noyés, ce n’était pas la tempête mais la mer était agitée par des creux de deux mètres et les bateaux de sauvetage ne se sont pas ouvert automatiquement car ils étaient sanglés ...
Un seul radeau de sauvetage a pu être ouvert recueillant 25 rescapés.
22 autres passagers ont pu grimper sur la coque du " Joola " retourné. Parmi eux le Français Patrice Auvray et Mariama Diouf la seule femme rescapée du naufrage.

Ils ont attendu toute la nuit jusqu’à 7h du matin avant d'être secourus par des pêcheurs en pirogues ...



                                Le Sénégal en état de choc après le naufrage du "Joola

Le naufrage du " Joola " a fait 1.953 victimes
Seulement 64 personnes ont pu être sauvées


Le matin du vendredi 27 septembre 2002, le Sénégal reçoit comme un coup de massue la nouvelle matraquée par la radio du chavirement dans la nuit du bateau " Le Joola " au large des côtes de la Gambie.
Avec angoisse et consternation des centaines de personnes se sont rassemblées au port de Dakar pour chercher des nouvelles de leurs proches qui se trouvaient à bord du bateau.
Aucune autorité ne s’est déplacée vers les familles présentes au port toute la journée, certaines y ont même passé la nuit.




A Ziguinchor en Casamance, c'est le lendemain du naufrage vers 10h que la nouvelle de la catastrophe est arrivée par l'intermédiaire de la radio. L'embarcadère et la capitainerie du port ont vite été envahis par des centaines de personnes.
Vers midi la confirmation du naufrage du "Joola" par la Premier Ministre Mame Madior Boye et l'annonce du premier bilan estimé à 41 morts repêchés et 32 rescapés a été accueillie par un dramatique concert de pleurs et de cris.
La gendarmerie a due évacuer l'embarcadère pleins d'hommes et de femmes en larmes.

Le samedi matin après la consternation c'est la colère qui s’installe. Certains accusaient les autorités d'avoir remis en marche " Le Joola " alors qu'il n'était pas encore au point techniquement. Beaucoup de questions sans réponse, où en étaient les secours ? Combien de survivants ? Que c’est-il vraiment passé ? …
A dakar le samedi après-midi des milliers de parents, amis et simples citoyens se sont rassemblés devant les grilles du Palais Présidentiel pour exprimer leur colère et demander au Chef de l'Etat des explications sur la catastrophe et les secours.






Le Président Abdoulaye Wade est sorti de sa résidence pour leur promettre une enquête sur les circonstances de l'accident et surtout que les familles des victimes seraient indemnisées.



Suite à cette manifestation les familles se sont regroupées en association, pour défendre leurs intérêts, en créant le Collectif de Coordination des Familles des Victimes du " Joola " (CCFV-Joola)


Wade a décrété ce jour-là un deuil national de 3 jours à la mémoire des victimes. Tout le week-end ce deuil sera marqué par la mise en berne des drapeaux et l'interdiction des manifestations ludiques.


A la mairie de Dakar et à l'Arsenal de la Marine plusieurs milliers de personnes se sont pressées tout le week-end pour obtenir des nouvelles de leurs proches et découvrir la liste des passagers.


Pour procéder à l'identification des victimes les photos des corps repêchés sont affichées.
Les familles ont défilé devant des bureaux couverts de photos de noyés avec l'espoir, ou le désespoir, de reconnaître l'un des leurs ...



Beaucoup de mères en pleurs à la recherche de leurs enfants scrutaient les photos des visages tuméfiés.
Les familles qui ont perdu tout espoir de retrouver leurs proches en vie s'accrochent à celui de pouvoir récupérer leurs corps.
Difficile vu l'état des dépouilles qui rend leur identification quasiment impossible.

Les corps repêchés de près de 200 victimes du naufrage ont été placés dans des containers frigorifiés dans l'enceinte de l'arsenal de la Marine. Des cercueils ont été préparés pour être montrés aux personnes qui ont reconnu un des leurs sur les photos.
Des corps que les familles viennent peu à peu récupérer, lorsqu'elles parviennent à les identifier.
Des messes de requiem ont été célébrées dans les églises de Dakar. Le 2 octobre des prières ont été dites par Sérigne Abdoul Aziz Sy Jr, au nom de tous les chefs religieux islamiques, et par l’Archevèque de Dakar, Monseigneur Théodore Adrien Sarr, sur le quai du port où sont entreposés les corps des victimes.

Le même jour à Dakar l'Amicale des étudiants de la Casamance a organisé une manifestation pacifique, un foulard noir autour de la tête en signe de deuil et des pancartes qui affichaient "Nous voulons la vérité, rien que la vérité !". A la Mairie, aprés avoir observée une minute de silence à la mémoire des victimes du naufrage, cette marche silencieuse a été dispersée par la police à coups de crosses et de grenades lacrymogènes ! ! ! …

Enterrements des nombreuses victimes


Début octobre 2002 le nombre définitif de victimes n'est pas connu, un recensement complet est en cours sur l'ensemble du pays.
Au total 551 morts et 64 rescapés ont été annoncés par les autorités sénégalaises. Seuls 93 corps ont pu être identifiés et remis à leurs familles.
L'idée émise par Abdoulaye Wade d'enterrer toutes les victimes non identifiables du naufrage dans des cimetières communs, mais avec chaque défunt dans une tombe, a reçu l'accord unanime de tous les chefs religieux.


Les enterrements ont eu lieu dans de nouveaux cimetières spécialements aménagés.
A Kabadiou à 13 km de Kafountine près du lieu du drame 34 morts ont été inhumés.
A Kantene au sud de Ziguinchor d'où était parti " Le Joola " 41 morts ont été enterrés.
A Dakar, où le bateau devait arriver, l'enterrement de 139 corps de victimes non identifiées ont eu lieu en toute discrétion dans la nuit du 3 au 4 octobre 2002 au cimetière de la forêt de Mbao.
En Gambie 195 corps échoués sur ses côtes, à 30 km de Banjul sa capitale, ont été inhumés dans des tombes anonymes au cimetière de Bassori près de la frontière avec le Sénégal.


Funérailles nationales organisées le 11 octobre 2002 à Dakar

Des funérailles nationales à la mémoire des victimes ont été organisée le 11 octobre à l'Esplanade du Souvenir sur la Corniche Ouest de Dakar. La cérémonie présidée par Abdoulaye Wade a débuté par douze salves de canon, une pour chacune des régions du Sénégal et une autre salve pour les étrangers victimes du naufrage.


Des prières ont été dites selon différentes confessions religieuses et une cérémonie funéraire Diola a eu lieu.
L'archevêque de Dakar, Monseigneur Théodore Adrien Sarr a invité les Sénégalais au repentir '' pour toutes les responsabilités humaines du drame ''.
Serigne Abdou Aziz Sy Jr , au nom des chefs religieux musulmans, a demandé aux familles des victimes et à tous les Sénégalais d'accepter le drame comme '' un décret divin ''.
Un représentant casamançais a pris la parole en demandant en Diola au peuple Sénégalais de s'unir dans la paix.


Une oraison funèbre a été dite par le Ministre de la Culture qui a appelé, dans un discours très politique, les Sénégalais à cultiver un comportement nouveau " Le temps des remises en cause courageuses et des ruptures nécessaires est arrivé. L'heure est grave. Le naufrage du " Joola " doit marquer le sursaut de notre peuple ".

Douze couronnes de fleurs et des guirlandes, déposées par une centaine d'enfants, seront transportées par une vedette de la Marine nationale, accompagnée de 60 pirogues, jusqu'à l'épave du "Joola".


La cérémonie s'est terminée avec la sonnerie aux morts, suivie de 10 secondes de silence, puis par un refrain de l'hymne national du Sénégal.
Au même moment à Ziguinchor une cérémonie de funérailles a eu lieu à la Gouvernance, des prières ont été dites par les représentants des communautés musulmanes et chrétiennes.



Le bilan du naufrage du « Joola » s’élève à 1.953 victimes



La liste des 1.034 passagers fournie par les autorités au lendemain du naufrage ne prennait en compte que les personnes ayant acheté un titre de transport.
Les enfants de moins de 5 ans n'ont pas été pris en compte par ces listes, pas plus que les passagers clandestins montés à bord sans billets, ni les militaires et les gendarmes qui ne payent pas et peuvent faire voyager gratuitement leurs parents et amis ... De plus à Ziguinchor des témoins affirment que des passagers ont achetés des billets mais ne figurent pas sur les listes, une anomalie qui pourrait provenir d'une vente parallèle de billets.
Le nombre réel de victimes a été très difficile à établir car des centaines de corps n'ont pu être récupérés à l'intérieur de l'épave.
Le 3 février 2003, le Premier Ministre Idrissa Seck a prononcé sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée Nationale du Sénégal. Lors de ce discours radio-télévisé il a annoncé que le dernier bilan officiel du naufrage du " Joola " s’élevait à 1.863 victimes. Sur ces 1.863 victimes, 1.143 sont présentes sur la liste des passagers, 458 n’y figurent pas et 262 font l’objet de déclarations insuffisantes et sujettes à vérification.


La liste officielle de 1.863 victimes est erronée car de nombreuses familles se sont déclarées bien après sa parution. Dans un premier temps certaines familles ont refusé de donner les noms de leurs parents et d'autres ont hésité à recevoir une indemnisation en dédommagement.
Le 8 mai 2003, le CCFV-Joola a annoncé un nouveau bilan qui s’élève à 1.953 victimes. Ce recensement a été obtenu, avec l’aide d’experts étrangers, par le recoupement des listes des préfectures et du port de Dakar, ainsi que des 47 listes fournies par les associations régionales de familles de victimes.
Sur 1.953 victimes il y a 1.201 hommes ( 61,5 % ) et 682 femmes ( 34,9 % ) et 70 victimes ( 3,6 % ) sont de sexe non déterminé. Outre le Sénégal et surtout la Casamance les victimes sont aussi originaires de 11 nationalités étrangères, 26 Bissau-guinéens, 20 Français et des Espagnols, Ghanéens, Néerlandais, Suisses, Belges, Camerounais, Norvégiens, Libanais et Nigériens.


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